204 : genre lapon

- Non mais t'imagines ? Tu peux pas le croire !
- ?
- Ce mec a repris une partition qu'il avait écrite en 2008, l'a modifiée l'année dernière parce qu'il n'en était pas tout à fait satisfait, et le résultat est stupéfiant !
- Oui, et alors ? C'est assez banal non ?
- Banal oui, sauf que le mec en question, c'est Elliott Carter et qu'il vient de fêter ses ... cent deux ans^ !!!
- Cent deux ! Effectivement c'est pas croyable ! Et à cet âge, on arrive encore à écrire quelque chose qui se tient ? C'est pas un peu ... infantile peut-être ?
- A cet âge, on peut pas généraliser, je ne crois pas qu'un seul compositeur ait écrit quoi que ce soit à cet âge : je ne sais même pas si un seul compositeur l'a atteint, cet âge ! Mais le résultat, indépendamment de cette anecdote, est remarquable !

L'œuvre s'intitule "On conversing with paradise".
Il s'agit d'un poème d'Ezra Pound chanté par un baryton et je te dis tout de suite qu'on n'y comprend rien ! C'est de l'italo-américain, et le texte est aussi hermétique que du Joyce si tu vois ce que je veux dire. Il n'y avait pas de surtitrage, mais y en aurait-il eu que ça ne nous aurait pas beaucoup aidé !
Mais on s'en fout : le baryton devient un instrument soliste et le reste de l'orchestre nous offre une superbe musique.
Petit l'orchestre : une dizaine de cordes, flûtes et clarinettes, cor et piano, cinq percussionnistes. La partie écrite pour ces derniers est particulièrement soignée, à la fois puissante, claire et précise, le résultat est splendide.
Le compositeur n'était pas là, il se déplace probablement plus difficilement qu'il n'écrit !

Auparavant nous avons eu droit à une pièce de Julian Anderson^, compositeur britannique de 43 ans : "The comedy of change" pour 12 musiciens.
Une demi-douzaine de pièces assez courtes se succèdent.
On est tout de suite charmé par la beauté des timbres de la première puis par la magnificence de la deuxième dans le style de Grisey.
La troisième pièce est dominée par une flûte champêtre devenant stridente. Les deux parties suivantes sont d'une rapide sinuosité à la Messian et d'un lyrisme à la Bartók : que du bon comme tu peux imaginer ! Seule la dernière partie qui fait intervenir surtout les cordes m'a un peu déçu, un peu lourde.

Il faut dire aussi que cette dernière partie a été quelque peu perturbée par un mouvement de foule dans les rangs du parterre, un spectateur finlandais faisant un petit malaise apparemment. D'ailleurs on est venu chercher le médecin (?) qui était assis à côté de nous, finlandais lui aussi, qui avait l'air aussi vieux que doit l'être Carter !
- Finlandais, tu te fous de moi ! Comment tu le sais, tu parles le finlandais toi ?
- Ah ! Ah ! tu vas comprendre !

Après que Julian Anderson puis Elliott Carter eussent été chaleureusement applaudis (et l'orchestre aussi) il y a eu l'entracte.
A l'entracte on regardait les gens et on était surpris d'en voir beaucoup qui avaient un look très particulier. Ils étaient une vingtaine et répondaient à deux types capillaires : cheveux longs, raides, lisses et gris pour les uns, tignasses ébouriffées et ternes pour les autres. Et tous, une tête de lapon ! Enfin comme j'imagine que les lapons sont !
Bon, tu me diras, c'est pas parce que tu as une tête de lapon que tu es finlandais ! Mais figure-toi que la dernière œuvre était d'une finlandaise qui vit en France depuis une vingtaine d'année et on a imaginé qu'elle avait dû faire venir famille et amis pour la soutenir.

Tu sais peut-être le peu de goût que j'ai pour la musique contemporaine des pays nord-européen, souvent néo-classique, plutôt mièvre et cherchant en permanence à rassurer nos oreilles.
Kaija Saariaho^ (pas facile à mémoriser le finlandais !) est une exception de taille : sans aucun doute un des meilleurs compositeurs actuels (elle est née en 52).

Je l'avais découverte dans ma voiture, lieu parfois propice à l'écoute de nouveautés (1h30 de musique par jour !). Des œuvres pour violoncelle et électronique qui m'avaient paru si originales et belles (et difficiles, et intéressantes) que j'avais même acheté le disque.
Par la suite, à deux reprises en concert, nous avons été impressionnés par la richesse et la perfection de ses partitions. Récemment nous avons écouté au disque un de ses opéras, "L'amour de loin" assez envoûtant.

"Graal théatre" est un concerto pour violon et orchestre. La couleur en est moins spectrale que ses autres œuvres. L'écriture orchestrale est parfaitement équilibrée et maîtrisée, c'est constamment beau, subtil et sobre, et les percussions sont aussi raffinées que la superbe partie de violon qui nous a laissés émerveillés.
On n'a pas eu besoin de l'aide des finlandais pour l'applaudir à tout rompre !

2 commentaires:

visuelepreludes a dit…

et ben quel specialiste !!!

roch a dit…

un autre point de vue sur ce concert :
http://www.loiseleur.com/patrick/blog/index.php/post/2011/02/14/Le-paradis-selon-Anderson%2C-Carter-et-Saariaho