234 : une voix s'éteint

Samedi 10 juin 1978, Etampes.

Le programme ne nous disait pas grand chose : de la musique espagnole des XVIéme et XVIIéme siècles, on ne connait pas alors pourquoi ne pas y aller ?
Pour une fois qu'il y avait un concert près de St Éloi !
L'église est petite mais l'assistance était assez nombreuse. Des parisiens en week-end bien sûr, mais des gens du coin aussi, c'est sûr.
Musiques inconnues et interprètes tout aussi inconnus de nous, on s'attendait à tout mais sûrement pas à un des concerts qui resteraient gravés à jamais dans notre mémoire.
Les interprètes ? Ils étaient quatre jeunes :
- un claveciniste néerlandais : Ton Koopman, qui n'était pas encore le claveciniste-chef d'orchestre reconnu qu'il n'allait pas tarder à être.
- un violoncelliste français de 20 ans : Christophe Coin, actuel chef de l'excellent Ensemble Baroque de Limoges.
- un gambiste catalan (à l'époque, la viole de gambe était pour nous une bizarrerie plus ou moins médiévale) : Jordi Savall, qui est devenu l'un des plus exceptionnel musicien de notre époque, nul ne l'ignore.
- et une belle jeune femme à la longue chevelure brune : Montserrat Figueras, chanteuse catalane.

La musique était belle, insolite et séduisante mais nous avons été surtout subjugués par la voix si particulière de cette jeune femme : une voix à la tessiture de soprano, mais bien loin des sopranos acidulées des soubrettes de Mozart, des sopranos pigeonnantes de l'opéra italien, des sopranos "blanches" de la musique baroque anglaise qu'on commençait à prendre l'habitude d'entendre !
Une voix au timbre unique, reconnaissable entre toutes dès lors qu'on l'a entendue une fois. Un timbre qu'on pourrait dire méditerranéen tant il est chaleureux, sensuel et lumineux et qui n'appartient qu'à elle.

Depuis, nous avons suivi avec passion le parcours de ce couple devenu mythique de la musique "ancienne" et on peut dire que Jordi et Montserrat nous ont accompagné toute notre vie, sans jamais nous décevoir que ce soit au disque ou au concert, d'une qualité et d'une intelligence toujours hors du commun.
Il se dégageait de tous les concerts auxquels nous avons été un sentiment d'humanité et d'humanisme, lié à la personnalité si attachante de Jordi Savall et à la voix si émouvante de Montserrat Figueras.

On doit à cette chanteuse des enregistrements extraordinaires de musique catalane, espagnole et sépharade bien sûr, mais aussi des Monteverdi formidables, et de nombreuses musiques anciennes si belles et si rares du pourtour de la Méditerranée.

Ces dernières années, sa voix n'avait plus la puissance de sa jeunesse, mais son timbre inimitable était toujours présent, toujours aussi touchant comme lorsque l'année dernière, elle donnait les chants de la Sibylle à la Cité de la Musique.

On appréhendait le jour funeste où elle déciderait d'arrêter de chanter.
La mort s'en est chargé hier.

Merci Montserrat pour tout le bonheur que tu nous as donné.



3 commentaires:

ju a dit…

Je pleure de n'avoir finalement jamais croisé sa route. Merci pour le lien.

Anonyme a dit…

on y était aussi, en 1978..

cat a dit…

Un jour Alfred Deller est mort et c'est la première fois que je ressentais une tristesse pareille pour un mort "inconnu" ..;aujourd'hui j'ai le même sentiment pour Montserrat qui nous a tellement fait vibrer!