287 : lettre à mon papa

Mon petit Papa

Un mois a passé ...
Ta mort, on s'y préparait un peu pour les mois à venir tant ta santé s'était dégradée depuis le début de l'année. Tes douleurs lombaires ne cessaient d'empirer, tu n'arrivais presque plus à marcher et ton insuffisance respiratoire devenait inquiétante depuis quelques semaines. 
Ton intellect, lui, est resté intact et tes derniers écrits quelques jours avant ta mort ont témoigné de ta lucidité aigüe.

Oui, ta fin annoncée nous a surpris par sa brutalité mais ta vieille amie la Camarde à qui tu venais de déclarer ta disponibilité ne t'a pas laissé tomber. Elle a eu pitié de toi, t'évitant une prolongation inutile de tes souffrances, t'évitant l'inéluctable état grabataire qui te guettait, enfer que tu n'aurais jamais pu supporter.

Les jours qui ont suivi ta mort ont été tristes et difficiles mais Maman semble reprendre le dessus. Après une semaine où elle était hébergée par Inès elle s'est à nouveau installée chez vous et ça se passe plutôt bien.

Bien sûr, maintenant c'est beaucoup de travail pour Inès et moi, ainsi que pour Catherine et Bernard qui nous aident et nous soutiennent. Les démarches administratives sont chronophages et examiner, trier, ranger tes affaires s'apparente à un parcours du combattant au milieu de fouilles archéologiques.
Car tu n'as jamais rien jeté pendant tes presque 91 années de vie ! Tu as gardé tout ce qui passait entre tes mains parce que "ça peut toujours servir ..." Et cela fait bien deux ans que tu n'as plus pris la peine de ranger et classer la "paperasse" qui te bouffait la vie !

Ces fouilles archéologiques sont pénibles mais elles sont surtout tristes car elles révèlent une facette de ta personnalité que j'aurais préféré ignorer : l'anxiété te minait. L'angoisse de la mort bien sûr, celle d'un homme dont les croyances sont incertaines (ton attirance pour la superstition, la magie, l'occultisme et l'ésotérisme en témoignent). Mais aussi l'angoisse de la vie dans ce qu'elle a de plus trivial (à la lecture de tes nombreuses correspondances administratives). Non Papa, la société dont tu rêvais n'a jamais existé et n'existera jamais, il y aura toujours des contraintes, des administration, des emmerdeurs et des connards.
Je n'ai pas trouvé de cadavre dans tes placards, j'y ai trouvé moins drôle : tu te noyais dans des verres d'eau et t'épuisais à lutter contre des moulins à vent. Si seulement tu avais compris qu'Inès et moi n'étions plus depuis longtemps des adolescents immatures, peut-être aurions-nous pu te soulager un peu de ton fardeau ...

Pourquoi as-tu gâché les dernières années de ta vie à te ronger les sangs pour des choses qui, objectivement, n'en valaient pas la peine ?
Pourquoi cette incapacité à jeter la moindre chose ? Tu préférais les entasser sans logique aux quatre coins de ton environnement. J'ai même retrouvé des choses que je me souviens avoir jetées il y a des années !
Pourquoi tout ces achats compulsifs qui s'entassaient dans ta maison, sans pour beaucoup avoir jamais servi, ou qui, hors d'usage gisaient abandonnés à droite et à gauche ?

Ce n'est pas ce souvenir que je veux garder de toi.
Ce n'est pas non plus le souvenir des dernières années où il n'était plus possible de communiquer avec toi du fait de ta surdité. On aurait pourtant tellement aimé continuer à dialoguer avec toi, tu avais encore tant de choses intéressantes et amusantes à nous dire et à nous apprendre ! Heureusement, nous avons pu naguère te faire partager un peu de ta mémoire quand tu étais encore avec nous ...

Je veux garder le souvenir du père éternellement jeune, dynamique et infatigable que j'aimais et admirais, celui qui était apprécié de tous :
celui qui à la sueur de son front a fait de St Éloi un paradis et fut profondément meurtri par l'assèchement de sa rivière enchantée ;
celui qui grimpait encore à 85 ans en haut d'une échelle de 5 mètres pour élaguer des branches ;
celui qui continuait inlassablement à tronçonner les grands arbres abattus par les tempêtes pour en planter de nouveaux ;
celui qui a incarné la "réussite" des mythiques trente glorieuses, et qui aurait pu figurer en bonne place dans certains films de Jacques Tati, même si ce fut au point de vouer une admiration aveugle pour la société US ;
celui qui ne conduisait pas sa voiture mais la "pilotait" ;
celui qui "aurait bouffé de la merde si on lui avait dit que c'était bon" ;
celui qui, malgré une vie professionnelle intense trouvait encore le temps d'aller chasser ou régater tous les dimanches tout en rénovant à l'intérieur et à l'extérieur cette magnifique maison, et tout en bichonnant avec amour ses bateaux successifs ;
celui qui m'a fait aimer la mer et les voiliers, l'architecture et l'esthétique, les jardins et les forêts ;
et enfin l'artiste à l'imagination débordante et au talent certain.

Le mec avec la pipe au bec quoi !




1 commentaire:

via fcbk a dit…

Inès : Si bien vu .. J'en pleure ...😢😢

Ma Brunotte : Une petite larme au coin de l'oeil.. Un peu de Don Quichotte, non ?